Par Raphaëlle Pluskwa

 

 

C’est bien connu, la musique n’a pas de frontière. Voici une histoire qui contribue à le prouver, celle des musiciens gitans de la rumba.

 

De Barcelone à Perpignan en passant par Sète, Montpellier ou Arles, les musiciens gitans vont s’approprier les rythmiques et les airs des caraïbes, pour développer un répertoire original et une tradition musicale qui perdure encore aujourd’hui.

Barcelone, début des années 50. L’arrivée de disques de rumba cubaine et portoricaine et la présence de musiciens des Caraïbes dans la capitale catalane résonnent dans les oreilles des gitans. L’engouement pour les musiques latines, en particulier le son et la guaracha, vont poser les bases d’un genre musical nouveau : la rumba gitane catalane. Peret, El Pescaílla, (le mari de Lola Flores), ou encore Peret Reyes seront les premiers représentants de ce mouvement.

Guy Bertrand, musicien et ethnomusicologue originaire de Toulouse, s’est pris de passion pour la culture de la rumba gitane. À Perpignan, à la fin des années 80, il rencontre de nombreux musiciens, dont les grands guitaristes Emmanuel « Chato Petit » Cargol et son cousin Jean Antoine « Gartino » Cargol, et découvre l’étendue d’une tradition musicale encore méconnue en France. Dans son ouvrage Les musiciens gitans de la rumba paru en 2018 aux éditions de la Flandonnière, il retrace et documente le fil de cette histoire immense.

« En arrivant à Perpignan, je croyais que tous les gitans parlaient espagnol et qu’ils faisaient du flamenco. Mais je me suis aperçu que leur culture, c’était la rumba, et que cette rumba était directement inspirée de Cuba et de Porto Rico », raconte Guy Bertrand. Il est frappé par l’étendue de leur répertoire et par l’originalité des réinterprétations des chansons cubaines ou portoricaines. Il cite en exemple le morceau « D’el negro bembon », chanson antiraciste composée par le portoricain Bobby Capo, qui va devenir « El gitano Anton », où les paroles s’adaptent aux problématiques gitanes et évoquent les discriminations et leurs rapports tumultueux avec la police.

Dans la rumba gitane, la tradition du flamenco se mêle aux rythmiques cubaines. Les musiciens gitans développent des techniques de jeu nouvelles, pour retrouver les rythmes des Caraïbes : c’est le fameux « ventilador ». La main droite ventile, balaie les cordes et produit un rythme se rapprochant de l’effet du güiro cubain, en combinant des frappes et des claquements sur la caisse de résonance de la guitare. C’est la marque indispensable du jeu de la rumba gitane.  

Emmanuel "Chato Petit" Cargol, 1953, © Jean Ribière

Aux côtés du fado, du blues, du rebetiko, du raï ou encore du tango, la rumba gitane fait partie de ces grandes musiques urbaines du monde, avec ses codes, ses traditions, ses maîtres. Pourtant, elle n’a pas toujours eu la reconnaissance qu’elle mérite. Si certains ont acquis une large notoriété, comme les Gispy King, Manitas de Plata, ou Tekameli signé chez Sony Music, la majorité des musiciens gitans de la rumba est restée dans l’ombre et l’anonymat. « Nul n’est prophète en son pays », analyse Guy Bertrand. « Je me souviens d’avoir fait des grands concerts avec des musiciens gitans à l’opéra de Sydney, ou dans les grandes capitales européennes, mais de retour à Perpignan ou à Toulouse, personne ne s’y intéressait ».

Comment s’explique le désintérêt français envers ce patrimoine musical ? Pour Guy Bertrand, «Les relations entre les gitans et la société qui les entoure ont toujours été très particulières. On les assimile toujours à des problèmes. Quand les gens voient un grand musicien, on se dit c’est formidable, on adore les gitans. Mais dès qu’il a quitté la scène, on l’aime moins, il dérange ».

L'arrivée aux Saintes-Marie-de-la-Mer, © Jacques Léonard, 1962

Son ouvrage, qui rend ses lettres de noblesse à la musique gitane catalane, est d’autant plus important qu’il existe peu voire pas de traces écrites sur le sujet, les gitans évoluant dans une culture de l’oralité. Aux côtés des textes rédigés en trois langues (français, catalan et occitan), de nombreuses photos documentent la culture de la rumba gitane. Depuis les années 50, des photographes, comme Jacques Léonard à Barcelone, Jean Ribière à Perpignan, et bien d’autres, ont immortalisé ces musiciens dans leur vie quotidienne, où la musique semble omniprésente.

Paul Cargol, 2016, © Pierre Parcé

« Je suis au tout début de cette histoire. Ce que j’ai écrit n’est que le premier volet de la belle aventure de la rumba des gitans catalans ». Guy Bertrand ne croit pas si bien dire : pour assurer la préservation de cette culture, l’Unesco pourrait la classer au patrimoine culturel immatériel. Cela constituerait un signal fort et une reconnaissance méritée, pour ces musiciens trop souvent ignorés.

Et cet été, si vous vous promenez dans les villes de Catalogne ou de Camargue, vous pourrez peut être entendre, au coin d’une rue, les guitares de la rumba gitane, croiser Jérôme Espinasse qui joue dans les cafés de Perpignan, ou Paul Cargol, l’arrière petit-fils de « Chato Petit », issu de cette dynastie de musiciens et qui continue de faire vivre son héritage.

Les musiciens gitans de la rumba de Guy Bertrand est paru en 2018 aux éditions de la Flandonnière.

Propos recueillis auprès de Guy Bertrand par Raphaelle Pluskwa dans le cadre de l’exposition photographique « Les musiciens gitans de la rumba », présentée au festival Fiest’A Sète, août 2019.

© Jean Ribière, Jacques Léonard, Pierre Parcé

 

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Les musiciens gitans de la rumba, par Guy Bertrand