Bruno Mestre, vous êtes originaire du pays vellave, et vous avez choisi d’en parler sous l’angle original du paganisme. Qu’est-ce qui vous passionne dans ces religions ?

 

Paganisme est un terme qui intrigue, qui agace parfois et qui ne se laisse pas facilement enfermer dans une définition consensuelle. Dans mon esprit, il renvoie d’abord à la période historique qui a précédé l’arrivée du christianisme en Velay. Parler du Velay païen, c’est parler du Velay préchrétien. Ensuite, le mot « paganisme » a un second sens qui renvoie cette fois au sacré, au religieux. Les païens sont ceux qui vénèrent les anciens dieux, qui rendent leurs dévotions à travers la nature. Ce qui m’intéresse ici c’est de tenter de comprendre qu’elle pouvait être leur vision du monde, en quoi elle est différente de celle du monde moderne et par extension quels sont les éléments païens qui ont pu parvenir jusqu’à nous (souvent par l’intermédiaire de la religion chrétienne d’ailleurs).

 

Vous avez découvert par vous-même des vestiges en Haute-Loire, quelle est selon vous la qualité essentielle de l’archéologue ?

 

Déjà j’aimerais préciser que je ne suis pas archéologue, qui est une profession encadrée par la loi et qui nécessite d’avoir étudier l’histoire à l’université. Je me considèrerai volontiers comme un amateur d’histoire locale, un « érudit », quelqu’un qui est curieux du passé de sa région. La première qualité est donc la curiosité : aller sur le terrain, consulter des archives, se renseigner toujours et encore, discuter avec les locaux, chercher… et si on a de la chance trouver ! C’est ce qui m’est arrivé avec la découverte du théâtre antique de Ruessium (Saint-Paulien) et la motte castrale de Bonneval. La deuxième qualité essentielle c’est la passion de transmettre (on peut reprocher à certains archéologues des pratiques rébarbatives et peu accessibles). Ce que je découvre ou les interrogations que je peux avoir, je souhaite que d’autres personnes les aient et inversement. L’histoire et le paganisme ont quelque chose à nous dire : sur ce que nous sommes (notre identité) et là où nous allons (notre projet).

 

Quels sont vos auteurs de prédilection ?

 

Au niveau local : Régis Sahuc qui chante comme nul autre les hautes terres vellaves et ardéchoises, Henri Pourrat (même si on est déjà en Auvergne), Albert Boudon-Lashermes. J’ajouterai toutes les légendes et récits mythiques vellaves qui n’ont pas d’auteur en particulier et qui sont l’expression depuis plusieurs siècles d’un peuple vivant. On pourra lire sur ce sujet, avec grand profit, Ulysse Rouchon, Arnold Van Gennep ou Auguste Aymard.

Plus généralement : Jean Giono comme écrivain profondément païen (lire la trilogie de Pan) et précurseur de l’écologie avec sa communauté du Contadour, Henri Vincenot – véritable « pape des escargots » qui montre dans ses ouvrages une certaine proximité entre paganisme et christianisme. Il y a aussi Nietzsche, poète et philosophe, que je cite à plusieurs reprises dans Le Velay païen. Je pense qu’il avait parfaitement compris que la philosophie païenne des Anciens n’avait jamais été autant d’actualité que dans un monde où « Dieu est mort ».

 

C’est votre premier livre, dans quelles conditions l’avez-vous réalisé ?

 

J’avais déjà pu écrire plusieurs articles dans des revues sur le Velay et le paganisme. J’ai toujours eu l’intention de faire un ouvrage sur ces thèmes mais le manque de temps m’en empêchait. Le premier confinement (mars 2020) m’a permis de me lancer : j’ai pu mettre en ordre mes idées, relire quelques ouvrages « fondamentaux », préparer une liste de sites à voir pour l’été. La rédaction a été longue et j’ai terminé Le Velay païen au début de l’année 2021.

 

Vous avez un style à la fois didactique et mesuré. Vous considérez-vous plutôt comme un écrivain ou comme un scientifique ?

 

Je me considère d’abord comme un écrivain puisque je cherche avant tout à transmettre au public l’amour du pays, des mythes, des légendes et des lieux sacrés vénérés par nos ancêtres. J’essaye d’être mesuré mais parfois le mythe me rattrape et je m’emporte : alors je crois par exemple au passage d’une « voie grecque » en Velay, au sanctuaire de la Magna Luna sur le Mont-Madeleine à Retournac, etc. Mais est-ce vrai ? Est-ce faux ? Ca ne m’intéresse pas vraiment de le savoir. Comme le disait Jean Cocteau : « L’histoire est du vrai qui se déforme, la légende du faux qui s’incarne ». Les frontières sont floues !

 

Quels sont vos projets pour la suite ?

 

Je termine l’écriture d’un deuxième livre qui aura pour thème les mégalithes, les roches remarquables et les sources sacrées de Haute-Loire. Il s’agit de dresser un inventaire de ces sites souvent méconnus et parfois, malheureusement, détruits ou oubliés.

Je continue aussi d’écrire des articles pour des revues ou des journaux.

Depuis peu, je suis devenu secrétaire des Cahiers de la Haute-Loire, association des Archives départementales qui édite annuellement une revue d’études locales. C’est une occupation chronophage entre l’administratif pur, la correction et la mise en page d’articles mais qui permet d’échanger avec d’autres passionnés d’histoire locale.